De la mémoire locale aux enjeux globaux

Les Jurassiens sont sympas. Voici l’une des caractéristiques proposées pour définir l’identité jurassienne. L’idée a été énoncée avec humour lors de la soirée «Mémoires jurassiennes» organisée par la RTS, l’Association Jura 24 et la Ville de Porrentruy. Au programme: valorisation du patrimoine audiovisuel et réflexion sur les enjeux d’aujourd’hui, à la lumière de ceux d’hier.

Se replonger dans son passé, échanger des souvenirs ou encore questionner son présent grâce aux éclairages d’experts, autant d’objectifs poursuivis par Mémoire(s) de Suisse romande. Ce projet, lancé par la RTS en 2018, présente une plus-value indéniable saluée à l’international.

En septembre dernier, la RTS, l’Association Jura 24 et la Ville de Porrentruy ont attiré 150 personnes pour la soirée «Mémoires jurassiennes». Elles ont ainsi pu visionner des documents d’archives rythmés par les interventions de divers expert.es avant de prolonger la discussion lors d’un apéritif. De quoi nourrir la mémoire collective.

«
Restituer les archives d’un lieu à leur public premier, à savoir les gens du lieu.»
Marielle Rezzonico, productrice éditoriale aux archives de la RTS
Rendre à César

Comme le souligne Marielle Rezzonico, productrice éditoriale aux archives de la RTS et coordinatrice des projections publiques organisées sous le label «Mémoire(s) de Suisse romande», ce projet consiste à «restituer les archives d’un lieu à leur public premier, à savoir les gens du lieu».

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Marielle Rezzonico, productrice éditoriale aux archives de la RTS et coordinatrice des projections publiques organisées sous le label «Mémoire(s) de Suisse romande».

Crédit: Lucie Donzé

L’équipe de production commence ainsi par cibler un lieu et, en collaboration avec la commune et les associations patrimoniales locales, se questionne sur les événements qui ont marqué l’endroit, les enjeux de cette période en regard de ceux d’aujourd’hui. Elle part ensuite à la recherche d’intervenant.es de l’époque afin de réaliser un «avant-après», à savoir récolter le regard actuel qu’ils.elles portent sur ces documents. À l’issue du montage, la population est invitée pour une projection publique accompagnée d’interventions d’expert.es, suivie d’un apéritif, l’occasion de partager des souvenirs, des émotions et de s’interroger sur les thématiques du moment.

Les premières archives télévisuelles de la RTS datent de 1954, tandis que les documents radiophoniques remontent aux années 1930. La RTS est donc détentrice d’une immense part de la mémoire collective des différentes régions de Suisse romande. Pour Marielle Rezzonico, «la sauvegarde et le partage de cette mémoire font partie de la mission d’une chaîne de service public». Cette démarche permet ainsi de questionner la mémoire et l’identité d’un lieu.

Dans le cas présent, Lucie Hubleur, conservatrice des monuments historiques du canton du Jura, a apporté son éclairage au cours de la projection. Pour elle, une soirée comme celle organisée à Porrentruy, offre l’occasion de s’interroger sur l’identité jurassienne, sur les preuves filmées de ce qui constitue cette identité. La RTS a sélectionné ce qui, pour une chaîne publique, faisait le Jura. «Quand la Suisse romande parle du Jura, elle dit quoi? Et comment moi, en tant que Jurassien ou Jurassienne, je me positionne face à ces choix?» questionne-t-elle.

 

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La journaliste de la RTS Mélanie Kornmayer, le rédacteur adjoint du Jura Libre Alain Charpilloz et le professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Fribourg Matthieu Gillabert (de gauche à droite) lors de la soirée Mémoires jurassiennes à Porrentruy.

Crédit: Lucie Donzé

Le 20 septembre dernier, il était question du plébiscite de 1974 évidemment, mais aussi des spécificités de chaque district jurassien, des guérisseur.euses et de la fête de la Saint-Martin.

L’importance des retrouvailles

Le fait d’organiser une projection publique constitue la véritable richesse du projet «Mémoire(s) de Suisse romande». C’est non seulement une manière pour la RTS de valoriser son patrimoine, mais également de renforcer sa proximité avec le public. La télévision de service public a restauré et numérisé l’ensemble de ses archives. «La plus-value de ce projet, c’est clairement le partage, avec nous, mais aussi entre les gens du public» commente Marielle Rezzonico.

Ponctuellement, des expert.es viennent prolonger le propos, mettre en lumière des liens entre le passé et le présent. Ainsi, Matthieu Gillabert, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Fribourg qui s’exprimait à la tribune, soulignait que les images de télévision avaient commencé à changer la perception du Jura par le reste de la Suisse. Il relevait également une attention progressiste de la télévision pour aller vers les gens, les femmes, les personnes invisibles dans l’espace public de l’époque.

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La journaliste de la RTS Mélanie Kornmayer, la conservatrice des monuments historiques du canton du Jura Lucie Hubleur, l’auteur de théâtre et scénariste Camille Rebetez (de gauche à droite).

Crédit: Lucie Donzé

Les retours enthousiastes de la population attestent de la plus-value apportée par le projet. Certains spectateurs ont même renoncé au match du HCA (équipe de hockey de Porrentruy) pour assister à la projection, car “on n’a pas souvent l’occasion de voir ces images d’époque”. Pour Lucie Hubleur, le fait que les gens puissent se retrouver pour échanger, pour discuter de leur patrimoine commun, pour renouer avec ce qui fait partie de leur identité, confère à la démarche la dimension d’une œuvre mémorielle. «Quand on s’occupe de patrimoine, là où tout prend son sens, c’est quand il y a un lien avec le public».

Alors que Marielle Rezzonico souligne la force de soirées comme celles-ci pour créer du lien intergénérationnel, la conservatrice apprécie cette occasion qui est donnée au personnel de l’administration cantonale de rencontrer directement les citoyen.nes.

Du micro-local à l’universel

Si les archives et les reportages de «Mémoire(s) de Suisse romande» se veulent orientés sur le micro-local et les histoires personnelles, elles n’en demeurent pas moins universelles sous certains aspects. Ainsi, le fait que des paysans de Charmey suivent l’évolution du tourisme et se convertissent petit à petit à cette nouvelle source de revenus est une thématique que l’on retrouve dans d’autres régions du pays, et même au-delà.

Certains de ces reportages sont notamment diffusés sur TV5. Le concept a en tous cas séduit la Fédération internationale des archives de télévisions (FIAT) qui a récompensé

«Mémoire(s) de Suisse romande» d’un Award en 2022.

Comme l’a relevé Marielle Rezzonico, plusieurs télévisions étrangères ont manifesté leur intérêt pour ce projet, preuve supplémentaire que «Mémoire(s) de Suisse romande» apporte une réelle valeur ajoutée à son public.

Lucie Donzé, Octobre 2024

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